Archives mensuelles : novembre 2018

« Les Mystiques », ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers

© Théâtre Irruptionnel

Texte et mise en scène Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. Création du Théâtre Irruptionnel, aux Plateaux Sauvages.

 « L’impression étrange d’être submergé par un imaginaire collectif auquel s’ajoutait ma propre représentation du sujet… » commente Lui, l’auteur, dans sa quête de l’objet oublié dans le train – son ordinateur – portant dans le fruit de ses entrailles le scénario composite des Mystiques, son grand projet. Ce prologue, par images projetées sur les stores de sa chambrette au sol jaune type cellule monacale, parle des notes écrites et perdues de son travail engagé et du U-avec-un-accent-grave de son clavier absent, ù comme ùrgence d’écrire. Il est entouré de livres-capteurs de rêves, dans lesquels il pioche et tente de recréer dans sa mémoire, ce qui s’est perdu, convoquant en une galerie de portraits, une trentaine de personnages – interprétés par six acteurs – qui vont se succéder en un pétillant manège, du plus réel au plus abstrait.

Et l’écrivain solitaire replonge dans son sujet et s’illumine, jusqu’à la déréalisation. Son amie Élise l’exaspère assez vite, croquant des orangettes au chocolat qui le déconcentrent cruellement. Et les multiples voix qui l’assaillent sont chargées d’anecdotes sur l’expérience mystique de tout un chacun. Et chacun y va de son antienne.

La demi-sœur de Lui, qu’il a connue au décès de leur père et avec qui il s’attable une fois l’an, ici dans un restaurant japonais de La Tour-Maubourg, lui offre Le Dialogue, livre de Catherine de Sienne, mystique à laquelle elle s’identifie. La scène est drôle et déjantée. « Elle ne savait ni lire ni écrire. Elle dictait et ses disciples notaient. Il y a quelque chose de très répétitif, comme une pensée qui s’invente devant nous. » Et La demi-sœur de Lui voyage entre extase et ressassement. Le tableau suivant ouvre sur un débat autour de la reproduction de la peinture d’Il Sodoma, Extase de Catherine de Sienne, dans le bureau de production de Florence et Mathieu. Difficile à vendre, Catherine de Sienne ! La productrice ne sent pas vraiment le projet et joue de la litote : « C’est compliqué ! » Son assistant s’enflamme : « Catherine de Sienne c’est pas du tout ça : c’est une femme, en Italie, à Sienne, au XIVème siècle, qui prend la parole, avec force, contre la guerre, la peste, l’église qui est en partie corrompue… »

Vont et viennent différents personnage hétéroclites : l’Ancien Professeur de diction de Lui qui le taraude de questions sur le pourquoi du choix de ce sujet ; le Fantôme du Père de Lui, grand baraqué en uniforme qui apparaît et disparaît, qui se met à saigner du nez – comme Lui juste après – et qui donne à son fils des conseils d’écriture : « Mais je t’en supplie, tu t’en tiens à une structure claire et surtout, t’évites les listes… » ; Mme Madebeine la Prof de français option grec et latin au lycée, fana de Socrate, plantée devant trois colonnes de carton-pâte projetées dirige les acteurs en graine vêtus de toges romaines, qui déclament avec conviction : « Connais-toi toi-même et tu connaitras les dieux.” Et Sarah, la patiente collaboratrice travaillant avec Lui au Fort Foucault, en présence de La demi-sœur de Lui, essaie de rationaliser : « Tuer ses pensées, ses habitudes, sa famille, tuer ses désirs aussi, tout, tout ce qui vous empêche, tout ce que vous aimez, dans un premier temps en tout cas. C’est pour ça que c’est si dur, c’est pour ça que c’est si seul toujours. C’est un combat, terrible, parce que contre soi-même… » Plus tard, apparaitront Le Jeune Bûcheron retiré dans la forêt, Un Vieux Chanoine, l’Éditeur, La voisine de Lui dans le train Milan-Paris qui connaît par cœur son alphabet et la Voix de l’Oncle de Lui l’encourageant dans ses recherches sur les moustiques plutôt que sur les mystiques.

Entre temps le public voyage jusqu’à Sienne, dans la ville couleur brique où le héros-auteur, Lui, commence par s’engueuler avec L. (Élise), robe rouge légère, lunettes de soleil alors qu’ils mangent des glaces. Elle ne comprend pas ses humeurs, il pique sa crise, elle part. Alors il devise avec un scénariste français en vacances en Italie, est appelé par un Producteur avant de s’endormir devant la télé et de faire des cauchemars d’où s’échappent de la fumée… une jambe… et apparaît Cassandre… Il part et revient du Deserto di Accona, situé à vingt-cinq kilomètres de Sienne dont il parle, après son black-out avec L’Ophtalmologiste italien : « Quand on va là-bas, nous les Siennois, on dit qu’on va sur la lune… Les yeux si vous voulez sont les organes qui déforment le plus la réalité, ils mentent et pour revenir à une forme de vérité, le corps et l’esprit peuvent décider la mise en place d’un œil intérieur, qu’on appelle troisième œil… » Le thé déborde, l’atmosphère s’embrume et s’alourdit de phénomènes extravagants qui nous placent dans l’illusion, entre stigmates et miracles. Le désert apparaît derrière les fenêtres et Lui devient habité, mystique, entouré de visions, jusqu’à voir Catherine de Sienne élevée au firmament et qui ressemble aux personnages envolés des tableaux de Chagall.

Écrit en vingt et un tableaux, le texte oscille entre extravagances, hilarités et décalages. On est aux frontières de l’irrationnel et de la folie, dans la loufoquerie érudite et la réflexion sur la création car « Très tôt tu dois savoir ce que tu vas faire plus tard. Dès la troisième on te demande d’avoir un projet professionnel. Après c’est pire. Si t’as pas de projets, c’est suspect, tu vas forcément mal. Donc tu passes ton temps à en avoir, des projets. Tu t’en inventes même, ça rassure. Le projet mystique c’est l’inverse en fait : avant de faire des conneries j’essaye de savoir un peu qui je suis. » La chute est modeste et inattendue, quand Lui s’avoue avoir raté et l’accepte presque joyeusement.  « Les mystiques eux-mêmes doutent de leurs capacités à rendre compte de leur expérience de l’indicible. Alors moi… »

Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre – fondateur en 2003 du Théâtre Irruptionnel, avec Lisa Pajon, sa complice de toujours depuis le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris – mêle à la représentation, en texte et en images en tant qu’auteur et comme metteur en scène, de nombreuses références, toujours avec précision et légèreté. Il parle entre autres des auteurs Joë Bousquet et Michel de Certeau, de l’icône mexicaine Frida Kahlo, montre Patti Smith photographiée par Robert Mapplethorpe ou les transes filmées par Jean Rouch. Dans leurs partitions respectives, les acteurs s’en donnent à cœur joie, avec virtuosité, nous emmenant avec eux – avec Lui – sur les chemins escarpés de ce vertigineux sujet qui prend à témoin le spectateur et le plonge dans l’expérience du mystère de la création, qui pourrait s’apparenter à celui du sentiment amoureux.

Brigitte Rémer, le 26 novembre 2018

Avec Mathieu Genet,
Bruno Gouery,
Mireille Herbstmeyer,
Flore Lefebvre des Noëttes,
Lisa Pajon en alternance avec Florence Fauquet, Makita Samba. Dramaturgie Sarah Oppenheim – costumes Olga Karpinsky – lumière Kelig Le Bars – son Nicolas Delbart – vidéo Christophe Walksmann – scénographie Alexandre de Dardel, avec la collaboration de Louise Scari – assistanat à la scénographie Rachel Testard – atelier de construction Le Préau/CDN de Normandie/Vire – régie générale Marie Bonnemaison – régie lumière Grégory Vanheulle – administration et production Mathieu Hillereau/Les Indépendances – diffusion Florence Bourgeon. Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, avec la collaboration d’Éric Tillette de Clermont-Tonnerre.

Lundi 19 au vendredi 30 novembre 2018, à 20h (sauf samedi et dimanche) Les Plateaux Sauvages, 5 Rue des Plâtrières, 75020 Paris – En tournée à Versailles, Vire, Bar-le-Duc, Bressuire, Saintes et Châtellerault. Le Théâtre Irruptionnel est associé au Moulin-du-Roc, à Niort où il a créé le spectacle, le 6 novembre 2018

Mama

© Christophe Raynaud de Lage

Texte et mise en scène Ahmed El Attar – Spectacle en langue arabe, surtitré en français – Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

Mama raconte, par les quatorze acteurs présents sur scène, l’histoire d’une famille de la bourgeoisie égyptienne. Un grand canapé central type copie du XVIIIème résume l’affrontement de trois générations où les petits drames ont valeur de grands scénarios. Dans une scénographie de Hussein Baydoun, l’espace est cerné de barres métalliques, symbole de piège ou bien d’enfermement.

En scène, côté cour, la grand-mère, (Mehna El Batrawy) calée dans son fauteuil et qui n’en bouge guère, rivalisant d’hostilité avec sa belle-fille, (Nanda Mohamad, présente dans les précédents spectacles d’Ahmed El Attar). Côté jardin, le grand-père (Boutros Boutros-Ghali dit Piso) calé dans le sien, son fils et ses deux enfants en mouvement de yoyo entre les deux pôles, masculin et féminin. Les tensions familiales s’expriment sur la scène entre grand-mère et belle- fille, entre hommes et femmes, entre les deux enfants, entre la famille et les serviteurs.

Du canapé où s’expriment les conflits d’une société en crise, la famille s’embourbe dans les clichés d’un monde machiste et de conflits de génération. La question posée par Ahmed El Attar sur un ton de comédie sociale touche à l’obsession misogyne qui envahit, sournoisement ou non, les rapports masculin/féminin de la société égyptienne. Il cherche à en démonter le mécanisme en montrant que les femmes, premières victimes de cette oppression masculine, en seraient aussi la source : chargées de l’éducation des enfants, elles adulent leurs fils et les aident à acquérir très tôt ce sentiment de toute-puissance, de telle manière qu’elles sont elles-mêmes signataires de la reproduction du système. Le discours d’Ahmed El Attar pourtant n’est jamais frontal il suit les méandres de la vie familiale quotidienne, comme si de rien n’était. Les séquences se succèdent de manière enlevée par des acteurs bien dirigés, petits morceaux de vie teintés d’humour et de sarcasmes, au gré de la courbe des guerres intestines et comme un Jeu des sept familles. Je demande… la grand-mère… !

Auteur, metteur en scène et opérateur culturel parfaitement francophone, Ahmed El Attar travaille au Caire et dirige le Studio Emad Eddine où il s’investit aussi dans la formation des comédiens et des acteurs culturels. A travers le Théâtre El-Falaki qu’il dirige et le Festival de théâtre indépendant, Downtown Contemporary Arts Festival D’Caf qu’il programme chaque année dans la ville, il crée, par son franc-parler, une dynamique théâtrale et des synergies auprès des jeunes artistes, et partage avec eux l’espace artistique. Dans son pays, l’Égypte, où plus de 60% de la population a moins de vingt-cinq ans et où les rapports de classe et de pouvoir se sont figés, ces bouteilles jetées à la mer, chargées de dérision, sont salutaires.

Après avoir travaillé en 2014 dans The Last Supper sur la figure du père – celui qui, dans le Monde Arabe, a le pouvoir – El Attar poursuit sa saga familiale avec la figure de la mère, première actrice d’une normalité confisquée entre les hommes et les femmes. Il pose la question de la responsabilité.

Brigitte Rémer, le 10 novembre 2018

Avec Belal Mostafa, Boutros Boutros-Ghali, Dalia Ramzi, Hadeer Moustafa, Heba Rifaat, Menha El Batrawy, Menna El Touny, Mohamed Hatem, Mona Soliman, Nanda Mohammad, Noha El Kholy, Ramsi Lehner, Seif Safwat, Teymour El Attar – Musique et vidéo Hassan Khan – Décor et costumes Hussein Baydoun – Lumière Charlie Astrom – Production Henri Jules Julien et Production Orient productions, Temple independant Theater Company

Après sa création au Festival d’Avignon 2018, la pièce a poursuivi sa route au Théâtre de Choisy-le-Roi le 9 octobre, à la MC 93 du 11 au 14 octobre, au TNB de Rennes. Site : www.festival-automne.com

Ensemble Lyaman

© Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

Mourchid Abdillah, Mohamed Ali Chadhouli, Mohamed Saïd, chanteurs soufis des Comores – Auditorim Antonin Artaud de la Médiathèque, Ivry-sur-Seine.

La présence de trois initiés soufis issus du collectif des Nurul’Barakat est programmée dans le cadre du spectacle Obsession(s) présenté par Soeuf Elbadawi au Théâtre d’Ivry Antoine Vitez, ils sont le lien entre les tableaux. Les représentations ont pourtant commencé sans eux, faute de visas les trois artistes manquaient à l’appel « à la suite d’une crise diplomatique entre la France et Les Comores » explique Christophe Andréani, directeur du Théâtre d’Ivry Antoine Vitez dans un article Médiapart : « Le savoir-faire et la geste de ces artistes-là sont uniques, car ils ont su préserver leur tradition authentique, en refusant tout reformatage en vue de commercialisation ou de tournée mondiale. Ils ne peuvent donc absolument pas être remplaçables… » Leur arrivée fut décalée.

Dirigé par Mourchid Abdillah, le collectif a mis les bouchées doubles et a rejoint le spectacle. Il a aussi donné un récital à la Médiathèque d’Ivry en partenariat avec le Théâtre et le Conservatoire municipal de la ville qui l’a inscrit dans sa Saison musicale. Les trois chanteurs ont pris place, assis sur des troncs d’arbres. On les trouve habituellement dans un grand collectif qui fait cercle. Le rythme est donné par le souffle, une technique très particulière des Comores, il n’y a pas d’instrument de musique. Les chanteurs portent une djellaba blanche bordée de liserés or, ils sont pieds nus et coiffés d’un tarbouche.

« Le soufisme repose sur deux idées essentielles : la conviction que le Coran possède un sens caché qui complète son message apparent et la nécessité d’en faire une lecture intériorisée pour favoriser l’élévation spirituelle des musulmans » écrit Thierry Zarcone dans un ouvrage qu’il lui a consacré, les plus grands poètes du monde musulman ont une appartenance soufie

Les chanteurs ici déclinent leurs mélodies en trio, duo, ou parfois en solo. Un son circulaire en enchaîne un autre, le chant choral se décale de quelques petites notes avec reliefs et demi-tons. Accélérations, décélérations, variations, superpositions. Les chanteurs se répondent et se fondent dans les notes qui arrivent, jusqu’à l’essoufflement. Ils racontent. Harmonies, psalmodies, expressivité, nostalgie, appel. Les corps s’inclinent et se balancent, les mains sur les genoux marquent le tempo, parfois se joignent ou sont en position d‘accueil. Imploration, supplication, adresse, injonction, chacun entre dans la gestuelle à son rythme. L’un commence et appelle les autres dans l’expression de leurs solitudes intérieures. Parfois un regard furtif glisse vers l’autre. Une belle puissance, comme un chœur, comme un cri, se dégage de cette psalmodie coranique, les voix sont invocations. Puis ils se lèvent et à la fin dansent comme en un seul corps. Les mouvements sont circulaires, codifiés, ils sont impulsions, contemplation, expérience mystique, émotion esthétique.

Brigitte Rémer, le 18 novembre 2018

Vu le 17 novembre à l’Auditorim Antonin Artaud de la Médiathèque, Ivry-sur-Seine – Le spectacle Obsession(s) sera présenté du 5 au 8 décembre 2018 avec l’Ensemble Lyaman au Théâtre Studio d’Alfortville – 16 Rue Marcelin Berthelot – 94140 Alfortville – Dans le cadre des Rencontres Charles Dullin. Tél. : 01 48 84 40 53 – www.lestheatrales.com

Obsession(s)

© Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

Texte et mise en scène Soeuf Elbadawi, Compagnie O Mcezo* – Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin.

Soeuf Elbadawi est né à Moroni, dans l’archipel des Comores, l’une des quatre îles posées dans l’Océan Indien, il y travaille. Avec Obsession(s) il s’empare de l’Histoire. « Ce projet naît du besoin d’interroger la fabrique coloniale, loin des mémoires dites exclusives. Il y a la volonté de retrouver le chemin d’une histoire en partage, de s’affranchir du récit mutilé d’un peuple encore sous tutelle, le mien, et de contribuer à faire tomber quelques certitudes bien établies » déclare-t-il.

Par des techniques théâtrales diversifiées comme le théâtre d’objets, la musique soufie, le jeu dramatique et le conte, l’auteur-metteur en scène dénonce avec virulence la colonisation française aux Comores. Il convoque différents personnages comme le fou, le narrateur, l’artiste, dans des rencontres-tableaux mises bout à bout en un ressassement qui vise à faire émerger l’Histoire de sa part d’ombre.

Trois hommes vêtus de blanc ouvrent le spectacle, ils représentent le chœur soufi Lyaman qui n’a pu arriver à temps à Paris faute de visa, mais qui rejoindra les représentions suivantes. On débute par un rituel. Puis André Dédé Duguet, conteur martiniquais originaire de Sainte-Marie, haut lieu de la culture Bèlè, place le décor historique dans son rôle de professeur-conférencier. Son propos est mis en débat, depuis la salle, par Leïla Gaudin, comédienne et performeuse. Soeuf Elbadawi excelle dans le rôle du fou travestit en vieille femme et Francis Monty auteur, metteur en scène et manipulateur québécois, dans la traversée des océans par objets interposés. Le rendez-vous sous-marin qu’il imagine, avec un ancêtre aquatique, le coelacanthe, est une merveille.

Dans les écrits qu’il publie depuis 2003 comme dans Obsession(s), Soeuf Elbadawi questionne l’humanité. « J’essaie d’appartenir à un monde pluriel, où tous se disent d’accord pour une décolonisation des esprits et un décentrement du regard. » Son obsession de la question coloniale lui permet de construire cette aventure multiculturelle où la place du sacré reste présente. Acteur majeur de la scène artistique aux Comores et hyper actif de l’espace francophone entre les pays de l’Océan Indien, La Réunion la France, La Martinique, le Québec, la Belgique et la Suisse, Soeuf Elbadawi est à la fois auteur, metteur en scène, comédien et chanteur. Il est engagé dans plusieurs associations théâtrales et musicales et vit entre Moroni, la capitale des Comores et Paris. Ses recherches touchent à la complexité des relations Nord-Sud et la mémoire collective, elles mettent en jeu sur le plateau la pluridisciplinarité.

L’exigence du Théâtre Antoine Vitez l’accompagne, dans son ambitieuse programmation qui « fait hospitalité à toutes formes d’expressions sensibles, savantes et populaires, qui témoignent de la diversité culturelle à l’œuvre dans une société joyeusement cosmopolite ». Des débats autour de la situation aux Comores réunissent parallèlement journalistes et anthropologues. Les chanteurs soufis de l’Ensemble Lyaman, à bon port, donneront un concert vendredi 16 novembre à midi, à la Bibliothèque Antonin Artaud d’Ivry-sur-Seine, dans le cadre de la Saison Musicale du Conservatoire municipal de la ville.

La parole de Soeuf Elbadawi rare et forte, appelle l’attention sur son archipel, les Comores, dont il écrit sa part d’Histoire. La théâtralisation qu’il en fait porte sa voix d’une manière directe, documentaire, poétique, drôle et cinglante, en dialogue avec l’équipe artistique constituée autour de lui dans la diversité des disciplines.  Sa puissance est salutaire.

Brigitte Rémer, le 12 novembre 2018

Avec André Dédé Duguet, Leïla Gaudin, Francis Monty, Soeuf Elbadawi ; avec Mourchid Abdillah, Mohamed Saïd, Chadhouli Mohamed, du chœur Soufi Lyaman – conception théâtre d’objets et manipulation Francis Monty en complicité avec Julie Vallée-Léger et pour la fabrication Chann Delisle – scénographie Margot Clavières et Julie Vallée Léger – régie générale, lumières Matthieu Bassahon.

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez les 8, 9, 12, 15 et 16 novembre à 20h, en coproduction avec Le Tarmac et le Théâtre Studio d’Alfortville, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry-Sur-Seine, métro : Mairie d’Ivry – Tél. : 01 46 70 21 55 theatredivryantoinevitez.ivry94.fr – En tournée : Théâtre Studio d’Alfortville du 5 au 8 décembre 2018, au Tarmac, du 3 au 5 avril 2019 –  D’autres dates sont à préciser.

 

Scala

© Géraldine Aresteanu

Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois –  à La Scala / Paris.

L’ai-je bien descendu ? L’escalier central du dispositif imaginé par Yoann Bourgeois, pour sa troupe a marqué la réouverture de la salle parisienne, Scala, à la programmation ouverte et éclectique et qui a inspiré le metteur en scène pour le titre de son spectacle.

Célèbre café-concert au début du XXe siècle, cinéma reconstruit à l’italienne après sa destruction dans l’entre-deux guerres à la manière du modèle milanais, temple du porno dans les années soixante-dix, la Scala est aujourd’hui « théâtre d’art privé d’intérêt public » à l’initiative de Mélanie et Frédéric Biessy.

Acrobate, jongleur et danseur, Yoann Bourgeois a mis en scène et en espace depuis 2010 une douzaine de spectacles comme Cavale et Les Fugues, Celui qui tombe ou Les Passants. Il co-dirige avec Rachid Ouramdane le Centre chorégraphique national de Grenoble, une première pour un artiste de cirque. Il présente aujourd’hui Scala avec sept danseurs-acrobates et fait tourner son poétique manège sur le déséquilibre, la chute, la suspension, l’illusion et la disparition avec une grande vitalité et virtuosité. Le grand escalier s’inscrit dans une scénographie pleine de cachettes, de toboggans et trampolines. Une histoire envolée se construit. Cela commence par des trous dans lesquels les danseurs-acrobates disparaissent un à un, où les cadres tombent et les portes grincent, où se démultiplient les personnages comme autant de sosies – quatre hommes en jeans et chemises à carreaux, deux femmes en shorts et tee-shirts – où les chaises sont truquées, où les meubles s’écroulent et se redressent. Mirage, génie du mirage… Yoann Bourgeois dit s’être inspiré des wakouwas, ces petits animaux de bois qui, d’un petit coup de poussoir se désarticulent, gisent et se relèvent.

Il se joue mille et une aventures sur le plateau de la Scala où les corps roulent comme l’eau en cascades descendant l’escalier, où se désynchronisent et se désarticulent de singuliers duos et trios, où de subtils mouvements collectifs, nous conduisent petit à petit dans le monde des morts-vivants. Un environnement animal rampant, des mouvements incessants et lancinants qui font penser aux travailleurs d’une mine d’or repartant inlassablement à l’assaut de leur montagne, ou à l’univers de la cave musicale et solidaire du Roi et l’Oiseau. Les lits sont truqués, la bande son joue entre le grésillement des criquets et les bruits d’usine, elle nourrit l’imagination. Hommes et femmes s’abattent comme des aigles et sont catapultés jusqu’au ciel. Ils sont virtuoses dans leur art.

Le spectacle débute dans l’insouciance du burlesque et la légèreté, puis la tension monte et l’horizon se charge. La construction dramaturgique nous conduit au gris- bleu nuit du trouble profond. C’est talentueux et magnifique, c’est inscrit dans le lieu, c’est la gravité même, tête en bas.

 Brigitte Rémer, le 3 novembre 2018

Avec : Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard, Lucas Struna – lumières Jérémie Cusenier – costumes Sigolène Petey – son Antoine Garry – conception et réalisation de machineries Yves Bouche – conseil scénographique Bénédicte Jolys – collaboration artistique Yurie Tsugawa.

La Scala/Paris, 13 bd de Strasbourg, 75010. Paris. Métro : Strasbourg-Saint-Denis. Jusqu’au 24 octobre 2018, puis en tournée – Tél. : 01 40 03 44 30 – www.lascala-paris.com – www.ccn2.fr